Comment l’Homme et les grands singes ont perdu leur queue

L’insertion de « gènes sauteurs » dans une région cruciale de l’ADN impliquée dans le développement de la queue chez les primates expliquerait (en partie) pourquoi les grands singes (dont les Hommes) n’ont pas de queue. Ce n’est pas très clair ? On va vous aider à comprendre avec une lecture à quatre niveaux : de débutants à experts !

Les gorilles, comme les chimpanzés, les orangs-outans, les gibbons et l’Homme sont des singes sans queue. © Wikimedia Commons

L’émergence du genre humain est intimement liée à la perte de la queue ancestrale chez les primates dits hominoïdes, un événement évolutif majeur survenu il y a 25 à 20 millions d’années. Cette modification anatomique a contribué à terme au développement de la locomotion bipède. Cependant, les bases génétiques et moléculaires sous-jacentes à ce phénomène sont restées largement inexplorées jusqu’à récemment. Néanmoins, une étude importante publiée dans Nature vient d’apporter des éléments convaincants qui apportent un éclairage nouveau sur l’origine du processus. Ou du moins, en partie.

Parce que cette recherche est particulièrement complexe, Hommeni’Sciences vous propose plusieurs niveaux de lecture, histoire de satisfaire tous les curieux, quelque soit leur bagage scientifique.

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Pourquoi les Hommes et les grands singes n’ont pas de queue

Commençons par quelques fondamentaux : l’Homme et les grands singes (chimpanzés, gorilles, orangs-outans et gibbons) conservent dans leur anatomie les réminiscences de cet appendice situé dans la continuité de la colonne vertébrale : le coccyx. Et c’est parce qu’il souffrait très précisément de cet endroit que le scientifique à l’origine de ce travail, Bo Xia, a commencé à s’intéresser à cette région, et par extension, à la perte de la queue. Il s’embarquait alors dans un travail titanesque mais précieux, en collaboration avec dix-neuf autres scientifiques.

Le coccyx (ici en rouge) constitue les vestiges anatomique de la queue des primates. © Wikimedia Commons

Les scientifiques ont identifié un changement génétique partagé par les humains et les autres grands singes qui pourrait expliquer la perte de leur queue ancestrale. En modifiant génétiquement des souris pour leur faire porter cette même altération, les chercheurs ont observé que ces rongeurs naissaient avec une queue très courte voire inexistante !

Ce changement concerne un gène clé appelé TBXT, impliqué dans le développement de la queue. Une petite insertion d’ADN dans ce gène provoque un défaut lors de la fabrication de la protéine TBXT, conduisant à un raccourcissement dramatique de la queue.

Les ancêtres communs de l’Homme et des grands singes comme les chimpanzés ou les gorilles ont probablement subi cette modification génétique originelle il y a environ 20 à 25 millions d’années. D’autres mutations ont probablement suivi, entraînant in fine la disparition progressive de leur queue au fil des générations.

Outre son intérêt pour comprendre notre évolution, cette découverte pourrait aider à mieux cerner certaines malformations congénitales impliquant une altération de la queue humaine résiduelle : le coccyx.


Perte de la queue chez l’Homme : la faute à un gène sauteur

De nombreuses espèces de singes ont des queues. Elles jouent un rôle important dans la vie arboricole de ces primates. Mais aussi un rôle social… © Nicholas Santasier

Commençons par quelques fondamentaux : l’Homme et les grands singes (chimpanzés, gorilles, orangs-outans et gibbons) conservent dans leur anatomie les réminiscences de cet appendice situé dans la continuité de la colonne vertébrale : le coccyx. Et c’est parce qu’il souffrait très précisément de cet endroit que le scientifique à l’origine de ce travail, Bo Xia, a commencé à s’intéresser à cette région, et par extension, à la perte de la queue. Il s’embarquait alors dans un travail titanesque mais précieux, en collaboration avec dix-neuf autres scientifiques.

Cette recherche a porté sur l’étude d’un gène en particulier, appelé TBXT, connu depuis 1927 pour jouer un rôle dans le développement de la queue. Chez les primates sans queue, les auteurs ont remarqué des spécificités génétiques absentes chez leurs cousins avec l’appendice, conséquence de l’intrusion dans cet endroit du génome de ce qu’on appelle un « gène sauteur ». Fallait-il encore vérifier que leur hypothèse était la bonne.

Ils ont alors induit les mêmes changements dans le génome de souris. Avec une seule copie du gène sauteur, les rongeurs présentaient des queues de taille normale. Mais, dès lors qu’il y avait deux copies sur le gène TBXT, alors les souriceaux naissaient sans queue, ou alors très courtes. Ils validaient ainsi leur hypothèse.

Si cette étude, particulièrement pertinente, apporte un éclairage nouveau sur la perte de la queue chez les ancêtres de l’Homme et des grands singes, il semble prématuré d’affirmer que ce phénomène est le seul processus en cause. En effet, comme chez les souris, il est plausible d’imaginer que ce processus génétique n’ait pas définitivement supprimé la queue. D’autres modifications du génome auraient pu terminer le travail. Mais cela est une autre histoire.


Le mystère de la disparition de la queue des ancêtres de l’Homme percé par la génétique

Commençons par quelques fondamentaux : l’Homme et les grands singes (chimpanzés, gorilles, orangs-outans et gibbons) conservent dans leur anatomie les réminiscences de cet appendice situé dans la continuité de la colonne vertébrale : le coccyx. Et c’est parce qu’il souffrait très précisément de cet endroit que le scientifique à l’origine de ce travail, Bo Xia, a commencé à s’intéresser à cette région, et par extension, à la perte de la queue. Il s’embarquait alors dans un travail titanesque mais précieux, en collaboration avec dix-neuf autres scientifiques.

Dans un premier temps, les chercheurs ont regardé de près la séquence du gène TBXT, connu pour son rôle dans le développement embryonnaire de la colonne vertébrale, et ciblé depuis des décennies comme pouvant être à l’origine de la perte de la queue. Ils ont alors remarqué que chez les grands singes, ce gène comportait une séquence que leurs cousins primates à queue ne présentent pas. Elle consiste en l’insertion de ce que les chercheurs appellent un « gène sauteur ». En version simple, ce sont des séquences génétiques qui ont tendance à s’insérer un peu n’importe où dans l’ADN, parfois sans conséquence… Mais parfois, cela change la protéine générée par la lecture de la séquence génétique.

L’évolution passe par le génome. © PxHere

Pour en revenir à notre histoire de queue disparue, les scientifiques ont alors émis l’hypothèse que l’un des nœuds du problème pouvait se trouver à ce niveau. Cette hypothèse a été proposée en 2021, dans une prépublication. Cependant, le processus de validation scientifique exige de confronter la théorie à la pratique. C’est ce que ces chercheurs se sont attelés à faire dans la suite de leur travail. Un long et fastidieux travail qui a consisté à insérer cette fameuse séquence du gène sauteur AluY dans l’équivalent du gène TBXT des souris.

Dans un premier temps, les résultats ne se sont pas révélés très probants, les rongeurs naissant avec des queues visiblement normales. Néanmoins, lorsqu’une deuxième séquence du gène sauteur a été introduite, les souriceaux portant cette double insertion sont nés sans queues, ou alors avec une version courte. Les scientifiques tenaient la preuve expérimentale qu’ils cherchaient.

Si les auteurs de ce travail de longue haleine ont peut-être mis au jour le mécanisme originel à la base de la perte de la queue chez les hominoïdes, il semble prématuré (et erroné) d’affirmer qu’il est le seul. Puisque les souris de l’expérience ont parfois conservé leur queue, cette insertion génétique ne suffit pas forcément à elle seule. En revanche, d’autres processus, comme des mutations, ont pu interférer et finir le travail enclenché.

D’autre part, cette étude peut servir de bases à de nouvelles recherches biomédicales. En effet, certaines souris présentaient des troubles du développement de la colonne vertébrale ressemblant à une malformation congénitale retrouvée chez l’être humain, appelée spina bifida.


Perte de la queue chez les ancêtres de l’Homme : le rôle clé de l’épissage alternatif sur le gène TBXT

Commençons par quelques fondamentaux : l’Homme et les grands singes (chimpanzés, gorilles, orangs-outans et gibbons) conservent dans leur anatomie les réminiscences de cet appendice situé dans la continuité de la colonne vertébrale : le coccyx. Et c’est parce qu’il souffrait très précisément de cet endroit que le scientifique à l’origine de ce travail, Bo Xia, a commencé à s’intéresser à cette région, et par extension, à la perte de la queue. Il s’embarquait alors dans un travail titanesque mais précieux, en collaboration avec dix-neuf autres scientifiques.

Ce travail a porté sur le gène TBXT, connu pour réguler le développement de la queue chez les vertébrés. Il présente une structure génomique singulière chez l’Homme et les grands singes qui en sont dépourvus. Une analyse comparative a révélé la présence d’une insertion de 305 paires de bases correspondant à un rétroélément AluY dans l’intron 1 du gène. Ces séquences Alu, une sous-classe spécifique des éléments nucléiques intercalés appelés « rétroéléments », sont répandues dans le génome des primates et ont la capacité de se multiplier et de se réinsérer, ce qui en fait des composantes majeures de l’évolution des génomes.

L’équipe scientifique a émis l’hypothèse que l’insertion AluY dans TBXT pouvait perturber l’épissage conventionnel de son pré-ARNm et ainsi altérer la structure de la protéine produite. Par des expériences d’épissage in vitro et in vivo, ils ont confirmé que cette insertion crée effectivement un nouveau site donneur d’épissage conduisant à l’excision d’une portion codante de l’exon 2. Cet épissage alternatif induit par Alu engendre alors une forme tronquée de la protéine TBXT, délétère pour son rôle dans l’organogenèse caudale.

Ce schéma, issu de l’étude, explique schématiquement que l’insertion génétique constitue l’origine du recul de la queue chez les primates. Mais d’autres mutations ont fini de faire disparaître l’appendice. © Xia et al., Nature, 2024.

Afin de démontrer le lien causal entre cette perturbation du processus d’épissage et le phénotype de perte de queue, les chercheurs ont généré différentes lignées de souris knock-in porteuses d’insertions AluY simples ou doubles dans le locus Tbxt murin. Les conclusions sont claires : les souris avec une double insertion AluY dans Tbxt présentaient un éventail de défauts de la queue allant d’un raccourcissement marqué à une absence totale, validant ainsi le rôle critique de cet évènement moléculaire.

Si cette étude élucide un mécanisme central de la perte de queue chez les hominoïdes, les auteurs soulignent que d’autres modifications génétiques ont probablement agi de concert pour aboutir à ce profond remaniement anatomique. Leur analyse a en effet identifié des milliers de variations uniques chez les primates sans queue dans des gènes liés au développement caudal. Une meilleure compréhension de ces processus évolutifs complexes permettra d’éclairer davantage nos origines ainsi que certaines malformations congénitales impliquant les vestiges de la queue chez l’Homme, comme le spina bifida, affection de la colonne vertébrale assez semblable à ce qui a été manifesté dans le phénotype de certaines souris modifiées génétiquement pour l’expérience.

doi: https://doi.org/10.1038/d41586-024-00610-x


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